Dans quel contexte est née l’aventure Plasticentropy ?

Nicolas Dubaut : Alors que je vivais en Espagne, en 2019, j’ai eu l’opportunité de rencontrer Federica Bertocchini, une chercheure en biologie qui venait de découvrir que le ver de cire était capable de dégrader le polyéthylène. Une découverte particulièrement prometteuse, à une période où je souhaitais avoir une orientation entrepreneuriale dans le domaine du développement durable. Nous avons décidé de valoriser cette trouvaille et de créer un laboratoire à Madrid. Cependant, nous étions peu satisfaits de l’écho et du soutien rencontrés localement.

Il y a un an, après quelques rencontres et prospections, nous avons finalement déménagé nos activités à Reims, qui bénéficie d’un écosystème complet dédié à la bioéconomie. Les aides publiques, notamment celles obtenues par le biais de Bpifrance et de la Région Grand Est, ainsi que les liens avec certaines filières comme la ChemTech, ont vite joué un rôle essentiel dans nos avancées technologiques et les perspectives que nous pouvions envisager. L’entreprise est officiellement née en septembre 2023, et s’est installée chez AgroParisTech au Centre européen de biotechnologie et de bioéconomie (CEBB) de l’agglomération rémoise.

En quoi consistent plus précisément vos travaux ?

ND : En laboratoire, nos recherches visent à comprendre quels mécanismes sont en jeu dans le phénomène de dégradation du polyéthylène par ce ver. Quatre enzymes d’intérêt ont ainsi été découvertes. L’enjeu est désormais de transformer cette avancée en offre industrielle. Nous travaillons sur l’expression de nos enzymes de façon synthétique afin de pouvoir les produire à grande échelle.

Notre innovation a pour effet la transformation des molécules plastiques en molécules chimiques plus petites et utilisables en tant que matières premières dans différentes industries comme dans le domaine de la cosmétique ou de la fabrication des parfums.

Le bénéfice sur un plan éco-responsable est double, puisqu’il s’agit d’utiliser des déchets plastiques voués à être polluants pour les valoriser et de permettre aux industriels de remplacer des ressources d’origine pétrolière par ces molécules innovantes.

Comment décririez-vous les perspectives économiques susceptibles de découler de ces recherches ?

ND: Elles sont potentiellement considérables. Du fait de ce double avantage, nos activités ciblent deux marchés. Le premier concerne les déchets plastiques non recyclés ou non valorisés. À l’échelle mondiale actuellement, seuls 9 % des plastiques sont recyclés. Au niveau européen, ce pourcentage est de 14 %, et en France de 16 %, ce qui signifie qu’on est loin pour l’instant de disposer de solutions ayant un réel impact sur ce plan. Nous travaillons d’ores et déjà avec Léko et Citéo, les deux éco-organismes français de traitement des déchets plastiques des emballages ménagers, qui nous apportent également un soutien financier.

Le deuxième marché visé concerne les produits chimiques respectueux de l’environnement conçus sur la base de notre procédé de dégradation. Aujourd’hui, il n’existe pas de fabricant de produits chimiques biosourcés en Europe. Ces derniers proviennent essentiellement de Chine et du Brésil. Il y a donc potentiellement des offres pertinentes à élaborer sur ce créneau.

Quelles sont les prochaines étapes pour Plasticentropy ?

ND: Depuis l’été 2024, nous sommes en mesure de produire les enzymes d’intérêt en bactéries, ce qui permet d’accélérer et d’envisager une industrialisation de ces productions. La prochaine phase consiste à faire évoluer nos enzymes pour les rendre plus efficaces, plus faciles à produire, moins chères et capables de dégrader le plus vite possible différentes catégories de polymères. Aujourd’hui, nos enzymes fonctionnent sur le polyéthylène, le polystyrène, le polypropylène qui, à eux trois, représentent plus de 50 % de la production mondiale de plastique. Aussi, l’impact potentiel est déjà très fort.

Étant donné ces résultats, il est possible de s’attaquer à des déchets plastiques multicouches qui sont issus de produits mis sur le marché dans le but de cumuler les propriétés intéressantes de différents types de polymères (antiodeurs, imperméables, compatibles avec les produits comestibles…). Ces produits multicouches ne sont en l’état pas recyclables car il est impossible de dissocier les différents matériaux plastiques qui les composent. Citéo nous a fait part d’un besoin très important quant à la dégradation de ces éléments multicouches, tandis que Léko manifeste plus particulièrement de l’intérêt pour la dégradation du polystyrène.

Crédit photo : AD / GrandReims